Vendredi du vin 19: En état de nature à San Francisco

Croyez-le où non, un des terroirs les plus naturels et les plus inspirants de Californie se trouve non pas à Rutherford, Howell Mountain ou Dry Creek, mais bien à l’angle de Folsom et de la 7e rue, en plein coeur de San Francisco.

C’est en effet sur ce coin de bitume très, très urbain que s’est installé le bar et marchand de vins Terroir, ce rendez-vous véritablement exceptionnel des vins naturels. Un gros merci à Doug Cook, créateur de l’excellent moteur de recherche oenologique Ablegrape (essayez-le, vous l’adopterez), de m’avoir fait découvrir cet espace que bien des amateurs québécois rêveraient d’avoir dans leur voisinage. Imaginez: une boutique de vins du terroir, à la sélection solide et intelligente, qui se transforme le soir en bar cool, avec une mezzanine intime à l’étage, de longs comptoirs tout près des étagères où s’alignent les sélections de la maison, et de la musique très animée (sur vinyle) sélectionnée, bien des soirs, par Guilhaume Gérard, un des trois partenaires de Terroir, avec lequel j’avais échangé quelques courriels avant mon voyage en Californie.

Guilhaume et moi avions parlé du thème du 19e Vendredi du vin, proposé avec conviction par Olif. Un thème que Terroir était bien à même de servir, puisque le vin sans soufre est bien à l’avant-plan des spécialités de la maison. Nous avions donc planifié de faire la dégustation de ce Vendredi sur place. Doug Cook et Robbin Gheesling, rencontrés tous deux à la très courue Wine Blogging Conference qui m’avait amené en Californie, étaient aussi de la partie.

Chez Terroir, le vin se fait surtout européen, mais il fait parfois des détours américains, pour ainsi dire. Comme ce Bianco Sulle Bucce 2004 de Vare Vineyards, un domaine de Napa qui fait dans les blancs de style italien et qui s’inspire des vignerons extrêmes du Frioul comme Radikon et Gravner, partisans de longues macérations sur les peaux et de fermentations en amphores. Guilhaume m’en avait amené un verre alors que je sirotais un Vouvray de François Chidaine, ce qui n’était déjà pas mal. Les Vare ne se sont pas encore mis aux amphores, mais le Sulle Bucce (« sur les peaux », en Italien), mélange de chardonnay, de sauvignon blanc et de ribolla gialla avait bien eu une longue fermentation sur peaux, et un long séjour en barriques, ce qui lui communiquait un caractère oxydatif et un intrigant mélange de caramel, d’orange confite et de rancio, sur une texture assez riche. Intéressant, à mon avis – même si Guilhaume, lui… n’était pas tout à fait convaincu, disons.

Il l’était beaucoup plus à propos de celle qui devait s’avérer la star de la soirée, Ariana Occhipinti, une jeune vigneronne de Sicile dont les vins entièrement naturels m’avaient été signalés par un lecteur de mon blogue anglais, il y a quelque temps, et m’intriguaient passablement depuis. Guilhaume m’en avait gardé une bouteille, et je lui en serai longuement reconnaissant. En effet, le Nero d’Avola 2006 de la signora Occhipinti, produit en biodynamie et bien sûr, sans soufre, est tout simplement le meilleur que j’aie jamais bu.

Un nez puissant, ancré dans la terre, des arômes d’une grande netteté et d’une grande complexité – un côté viandeux, une touche de noisette, de la violette et de la pivoine plein le nez, du fruit noir et de l’épice, puis plus tard de la sueur et un côté animal au travers de tout ça, entre autres choses. En respirant et en goûtant dans les grands verres et la carafe, le vin ne cessait d’épater et de surprendre, offrant au détour d’une nouvelle gorgée de nouveaux accents, entre l’acidité et le fruit si bien intégrés, la fine caresse des tannins et les saveurs amples et vivantes.

Avec 13% d’alcool et autant de fraîcheur, le vin se situe carrément aux antipodes des tendances plus courantes (et plus costaudes, et plus mûres) du Nero d’Avola. « Si je ne savais pas ce que c’était, je penserais sérieusement que c’est du Bourgogne », lançait d’ailleurs Doug Cook au beau milieu de la dégustation. Sans savoir, pas sûr que j’aurais deviné la Sicile, moi non plus.

Aussi au programme, ce soir-là, un Cornalin du Val d’Aoste (bref, une humagne rouge, diraient les Valaisans) des frères Grosjean. Très beau vin, avec cette combinaison d’intensité et de faible présence tannique typiques du cépage, le tout doublé d’une acidité rafraîchissante, avec de la cerise à l’avant et une belle touche de sucre brun en fin de bouche. Joli, mais pas aussi impressionnant que le Canavese Rosso La Torrazza 2006 de Luigi Ferrando, un excellent producteur de la région du Canavese, région située au nord-ouest du Piedmont, à la limite du Val d’Aoste. Fait de nebbiolo (surtout) et de barbera, le vin montrait une grande profondeur, d’où émergeaient graduellement des arômes iodés, floraux, avec de belles notes de fruit rouge. Superbe, mais pas au point de déclasser, ce soir-là, les beautés naturelles d’Ariana Occhipinti.

Le lendemain, je suis retourné au Terroir sans hésitation – et pour deux raisons. La première: amener une bouteille de Matassa Blanc 2005, l’excellent vin de grenache gris de Tom Lubbe, que je m’étais promis de faire goûter à Guilhaume – et aussi à Jared Brandt, le vigneron de chez A Donkey and Goat, qui tire un très beau rosé de rarissimes vignes de grenache gris dans les hauteurs de la Russian River Valley. Jared, je le rencontrais un peu plus tôt dans sa winery de Berkeley, pour goûter le rosé (dont il avait même produit une mini-cuvée sans soufre, délicieuse, au caractère bien sec et net) et plusieurs autres vins dont la finesse et l’intensité m’ont séduit.

Je suis plutôt content de l’intérêt que le Matassa a suscité chez Jared autant que chez Guillaume – et même chez Catherine Breton, vigneronne du Domaine Breton, qui était l’autre raison de mon retour chez Terroir.

En effet, Terroir offrait, jeudi soir dernier, une dégustation des vins de deux producteurs de vins naturels français, soit le Domaine Breton, dans la Loire, et le Domaine de la Cadette, à Vézelay, en Bourgogne. Catherine Breton, du premier, y faisait goûter ses cuvées sans soufre, notamment la Dilettante, un cabernet franc léger et gouleyant, et l’Avis de vin fort, un claret de saignée qui avait du punch à revendre. Si la Cadette fait du beau bourgogne blanc nature, j’ai encore plus apprécié le vigneron, Jean Montanet, dont la bonhomie et la générosité faisaient plaisir. Le vigneron faisait partager avec tout autant de bonheur les cuvées de ses producteurs préférés, comme un beau Mâcon du Domaine Vallette, ou encore un chablis boisé mais net et nature d’Alice et Olivier de Moor, dont il vantait les mérites avec bonheur.

Amis Québécois, réjouissez-vous, vous n’aurez pas à courir jusqu’à San Francisco (ou en France) pour rencontrer ces deux vignerons. Catherine Breton et Jean Montanet seront en effet à Montréal, autour des 10 et 11 novembre, à l’occasion de La Convergente, la grande dégustation de vins d’importation privée organisée par le RASPIPAV au Marché Bonsecours. Une dégustation ouverte, mais sur invitation d’une des trentes agences participantes. Et entourée d’activités avec les vignerons, qui seront certainement un peu partout en ville ces jours-là. L’occasion de dégustations et de discussions pleines de personnalité – et de naturel, ça c’est clair.

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6 commentairesLaisser un commentaire

  1. Bonjour, Merci pour cet article sur les vins naturels. J’en ai profité pour ajouter l’adresse dans ma petite carte des vins naturels http://snurl.com/4z1v6 où l’on trouve surtout la France et maintenant une adresse aux US. Y en a-t-il d’autres aux US ?

  2. Merci du commentaire. Très chouette carte des vins naturels. Je te suggérerai peut-être quelques adresses américaines.

    Petit avis: pour moi, le lien donné ci-dessus ne fonctionne pas: il s’agit toutefois d’aller sur le site de Ludovic et de visualiser la carte (sur la droite de la page).

  3. ça me semble que j’ai loupé une super soirée. C’est dommage qu’il n’y a pas possible d’avoir un bar comme Terroir à Vancouver 😦 J’espère que j’aurai la chance d’y aller quand je suis à SF la semaine prochaine.

  4. […] de Sicile qui sera à Montréal en début de semaine prochaine. Voyez ce que je disais de son nero d’avola aux allures presque plus bourguignonnes que siciliennes, il y a un an et demi, et vous aurez envie de vous pointer mardi soir, 27 avril, au Pullman, pour […]

  5. […] friends I’d met at the first Wine Bloggers’ Conference (read the blog post, in French, right here). Since then, the wines have started to be imported to Quebec by Oenopole, and I managed to get my […]

  6. […] rencontré Jean Montanet, le vigneron du domaine (qu’il dirige avec sa femme Catherine) à San Francisco, il y a deux ans, et que le bonhomme m’avait beaucoup plu. En fait, il était d’une modestie étonnante, […]


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