Du cabernet avec la viande grillée, du riesling avec le porc, du chardonnay avec le saumon… Ça marche, c’est clair, mais c’est pas un peu convenu?
Pour se mettre les idées à l’endroit, il faut parfois être prêt à faire quelques choses à l’envers. C’est ce à quoi nous invitait Philippe Rapiteau, de La Pipette aux quatre vins, en proposant comme thème du 22e Vendredi du vin un programme double de mariages vins et mets. Un blanc et un rouge – ou en tout cas, au bas mot, deux vins très différents – pour le même plat.
Un moment de bigamie oenologique? Tout un programme pour égayer un souper. Et encore plus quand c’est de façon spontanée.
C’est pourquoi, en répondant (tardivement, c’est vrai) à l’invitation du Pipette Man, j’ai évité les mariages évidents avec le chardonnay ou le pinot noir, compagnons classiques du poulet rôti qui était au menu ce soir-là, avec des légumes racines cuits dans la lèche-frites en accompagnement.
En y allant rondement, j’ai d’abord sorti du frigo un Château Milon 2006, un Bordeaux blanc fait de façon on ne peut plus naturelle par un vigneron bio et à la touche de soufre très légère. Un Bordeaux blanc inhabituel, toutefois, par son encépagement: 50% sémillon, 48% muscadelle, 2% sauvignon blanc.
En rouge, c’est un Pesquera Crianza 1999, produit en Ribera del Duero par le réputé Alejandro Fernandez, qui a retenu mon attention. La bouteille de ce vin de tempranillo, sortie quelques jours plus tôt, était à la verticale pour pouvoir être servie à la bonne occasion. Et celle-ci semblait venue.
Résultat?
Le Château Milon Blanc 2006, livrait de belles notes de pomme et d’orange, avec quelques éléments floraux. Un vin frais et goûleyant, très agréable en soi, mais qui ne donnait pas d’élan supplémentaire significatif au poulet. Les saveurs semblaient se côtoyer, en bouche, mais sans que le tout soit plus que la somme des parties. Les légumes racines, en particulier, avec leur amidon et les saveurs grillées, semblaient limiter la portée du vin. Des légumes verts auraient certainement mieux convenu pour cette combinaison.
Le Pesquera 1999, de son côté, donnait tous les arômes d’un vin à maturité, bien fondu et encore bien concentré. Le café, les champignons et l’humus se doublaient d’un brin de caramel et d’épices, avec une surprenante dose de raisin frais, très pur et très net. Avec beaucoup de corps sous sa robe grenat, il s’avérait bien fondu et harmonieux, avec des tanins devenus délicats et soyeux à souhait.
En étant bien fondu, le vin n’enterrait pas le plat, mais ajoutait plutôt une couche de saveurs intéressantes: le caramel, en équilibre avec le rôti, et les épices rehaussant les légumes racines et le poulet. Une belle harmonie, avec de la profondeur et une complexité accrue, une fois les deux réunis.
Le Bordeaux n’avait toutefois pas dit son dernier mot. Après mon assiettée de poulet, j’avais encore une petite fringale, que j’ai décidé de combler avec quelques bouchées de fromage – autant par appétit que par désir de voir comment les vins allaient s’y marier.
Eh bien, le blanc, avec sa rondeur un peu mielleuse et sa fraîcheur, faisait particulièrement bien avec les fromages à pâte dure ce qu’il ne parvenait pas tout à fait à faire avec le poulet: ajouter une dimension supplémentaire. Le Pesquera, remarquez, n’était pas pour autant déclassé. Les tanins étant fondus, il n’y avait pas de choc avec les fromages – même que le côté épicé s’harmonisait surprenamment bien avec un fromage à croûte fleurie, cousin québécois du Brie. Une belle surprise, que je n’aurais sûrement pas eue avec un mariage plus classique.
Merci donc, Philippe, de m’avoir mené vers d’autres saveurs.
Moi aussi j’ai une recette de poulet roti de Jamie Oliver.
Tantot avec un blanc (Ruada) Espagne et aussi avec un rouge (pinot noir) Nouvelle Zelande.
Les deux combinaisons sont gagnantes.
Le poulet, selon l’apprêt, est en effet assez flexible, pour les mariages vins-mets. Le pinot est pour moi un mariage très classique et oh combien savoureux.