Un peu plus de nature à la SAQ

Ce matin même, quand les SAQ Sélection ouvriront leurs portes, elles auront pris un air un peu plus nature qu’à l’accoutumée. En effet, le nouvel arrivage de la revue Cellier comprend le Morgon de Marcel Lapierre, un vin quasi-légendaire chez les amateurs de vin nature.

Que veut-on dire par vin nature? Au sens strict, cela signifie un vin fait de raisins biologiques, vendangés à la main, vinifiés avec des levures naturelles, sans aucun ajout d’éléments oenologiques (enzymes, tanins, acidification, etc.), non-collé, non-filtré et sans aucun ajout de soufre, ce composé ajouté de façon routinière aux moûts en fermentation, de nos jours, pour assurer une fermentation « propre » du vin. Ou s’il y a soufre, des quantités minimes ajoutées au moment de la mise en bouteille, pour stabiliser le vin et faciliter son transport et sa conservation.

On s’entend, faire du vin comme tel, avec une matière vivante et capricieuse comme le raisin, c’est tout un défi. Assurer des fermentations nettes, avec des saveurs claires, sans défauts comme l’oxydation ou les contaminations bactériennes (que le soufre aide à combattre), ça demande une attention et un savoir-faire considérables.

Marcel Lapierre, en visite à Québec en avril dernier

Or, ça, les Lapierre – Marcel et son fils Mathieu – savent faire. Non seulement parce qu’ils maîtrisent bien leur métier, mais aussi parce qu’ils travaillent de façon attentionnée et préventive, en ayant recours aux services d’une microbiologiste qui analyse le contenu des cuves de leur domaine et de quelques autres (Foillard, Pacalet, Descombes…). Si une cuve contient des bactéries comme les brettanomyces ou d’autres capables de susciter des défauts potentiellement très désagréables, on le sait rapidement et on peut s’ajuster, en ajoutant par exemple quelques bonnes chaudiérées d’une cuve en santé dans celle qui pose problème, histoire d’ajouter de bonnes levures et de mener le processus à bien dans l’ordre.

Résultat, leur morgon est d’une élégance et d’un éclat remarquables, un vin de soif exceptionnel, mais avec une structure et l’expression claire d’un terroir bien précis.

Depuis plusieurs années, les vins sans soufre de Lapierre (et ceux de Foillard, Descombes et Pacalet) sont disponibles en importation privée, grâce aux bons soins de l’agence Rézin. D’autres producteurs de beaujolais nature sont aussi représentés par des agences comme Oenopole ou La QV.

Toutefois, on n’en avait pas vu jusqu’alors sur les rayons de la SAQ, un brin frileuse devant des vins que l’absence de stabilisateur rend un peu plus variable, d’une bouteille à l’autre. Quand on sait que la SAQ doit composer avec une partie de la clientèle qui ramène des vins parce qu’il y a un dépôt au fond de la bouteille (c’est tout à fait naturel, quand le vin n’est pas hyper-filtré et collé, soit dit en passant), on peut comprendre un certain manque d’enthousiasme à l’idée d’expliquer à un acheteur non prévenu que sa bouteille était de mauvaise humeur, hier soir…

Pourquoi l’arrivée du Morgon de Lapierre sur les rayons aujourd’hui, alors? Parce que la qualité et la constance de ce vin ont su convaincre, certainement, mais aussi parce que la cuvée qui se retrouve sur les rayons de la SAQ a été légèrement soufrée au moment de la mise en bouteille. À l’inverse, les stocks qui arrivaient (et arriveront encore) en importation privée étaient sans aucun soufre ajouté.

Pas dogmatique, même s’il préfère le pur sans soufre, Marcel Lapierre m’expliquait, lors d’un passage au Québec, ce printemps, qu’il soufre depuis longtemps une partie de ses mises en bouteilles, pour satisfaire une partie de sa clientèle et pour assurer la stabilité du vin quand il voyage loin et, notamment, vers des destinations plus chaudes comme les Antilles. Même qu’il accepte de filtrer une autre partie de ses vins (comme c’est le cas pour l’arrivage québécois*) pour des clients – notamment germaniques – qui veulent vraiment que rien ne dépasse. Si ça rassure les acheteurs, est-ce un si grand compromis? Il serait bien tentant de goûter en parallèle le morgon sans soufre et le morgon filtré et sulfité à la mise en bouteille, pour voir de quoi il en retourne.

Quoi qu’il en soit, l’arrivage du Cellier d’aujourd’hui comprend deux autres beaujolais produits selon une approche nature, avec un soufre gardé au minimum et des fermentations naturelles: le brouilly du Domaine du Vissoux et le Régnié de Jean-Marc Burgaud. De belles petites percées de plus pour une approche sensible du vin qui donne, quand elle est maîtrisée, des vins d’une grande pureté et d’une expression originale, pleine de personnalité.

D’autres cuvées nature à la SAQ

Parmi les autres cuvées tendance nature que l’on retrouve à la SAQ, on pourrait pointer du côté du Jura, avec une cuvée comme La Jurassique du Domaine de la Renardière, élégante, fraîche et équilibrée, ou les cuvées des Stéphane Tissot, également traitées avec un minimum de soufre en fin de processus. Là aussi, la faible dose de soufre a fait sourciller un peu la Société des alcools, qui se questionnait à priori sur la stabilité potentielle des vins. Puisque les vins y sont entrés, il semble donc qu’ils passent le test, finalement.

Autre agréable surprise récente, côté nature: le Bourgogne Vézelay blanc du Domaine de la Cadette – cuvée La Châtelaine, pour être précis, récemment arrivé sur les rayons du Monopole. Un bourgogne bien tendu, frais et minéral, juste un peu arrondi par l’élevage en barrique (seulement 20% du vin passe en fût, le reste en cuve inox). Pas de beurré ou de vanillé, ici, plutôt de l’agrume citronné et des petites touches herbacées. Juste sous la barre des 20$, un vin très satisfaisant.

Pour tout vous dire, j’ai eu un plaisir supplémentaire à retrouver ce vin sur les rayons de la SAQ parce que j’avais rencontré Jean Montanet, le vigneron du domaine (qu’il dirige avec sa femme Catherine) à San Francisco, il y a deux ans, et que le bonhomme m’avait beaucoup plu. En fait, il était d’une modestie étonnante, préférant parler des vins de ses copains et faire goûter d’autres cuvées autant sinon plus que les siennes. Pas d’esbrouffe, ici. Seulement une bonne nature.

*Note de l’auteur: J’avais d’abord indiqué dans cet article que la version du Morgon de Lapierre mise en vente au Québec jeudi le 16 septembre (et toute vendue en à peine plus d’une journée), était la version sulfitée mais non filtrée. Après vérification auprès de l’agence Rézin, j’ai dû constater que mon souvenir avait fait défaut et que c’était la version filtrée et sulfitée qui était parvenue sur les rayons de la SAQ. La version non-filtrée et non-sulfitée sera toujours disponible en importation privée.

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  1. […] Vu du Québec, la nouvelle tombe à un bien drôle de moment, moins d’un mois après que les amateurs de vin d’ici lui aient fait toute une fête: les 1800 bouteilles de son célèbre morgon s’étaient envolées en à peine plus de 24 heures, lors de leur mise en vente dans le cadre d’un arrivage du Cellier. […]


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