Adieu, Marcel Lapierre. Adieu et merci.

Marcel Lapierre, en visite à Québec au printemps dernier.

En ce lundi matin tranquille et ensoleillé, par ici, la nouvelle m’a mis bien à l’envers. Marcel Lapierre, le célèbre vigneron de Morgon et une des figures tutélaires du mouvement du vin naturel, a vu son dernier millésime. Quelques jours à peine après la fin des vendanges 2010 en Beaujolais, au moment où les cuves sont toutes en bulles carboniques, ce patriarche du vin fait de raisin – et juste de raisin – nous a quitté.

Ses cuves sont entre bonnes mains – salut, Marie et Mathieu, toutes mes condoléances – et l’élan qu’il a donné au vin nature de bon aloi ne se perdra pas de sitôt.

Vu du Québec, la nouvelle tombe à un bien drôle de moment, moins d’un mois après que les amateurs de vin d’ici lui aient fait toute une fête: les 1800 bouteilles de son célèbre morgon s’étaient envolées en à peine plus de 24 heures, lors de leur mise en vente dans le cadre d’un arrivage du Cellier.

Lapierre était un homme généreux, sympathique, prêt à partager ses convictions et ses connaissances avec simplicité. Les quelques heures que j’ai eu le plaisir de passer avec lui, au printemps dernier, quand il était venu faire un petit tour à Montréal et à Québec, auront été un véritable bonheur, une occasion de comprendre aussi que le vin naturel n’est pas une position idéologique mais bien une discipline, une pratique que Lapierre et les vignerons qui ont partagé son parcours – les Pacalet, Foillard, Descombes et cie, en Beaujolais – ont défini et bonifié par un travail attentif, préventif, soucieux des détails. (Les méthodes, j’en parle un peu ici).

Ce qui m’avait frappé, chez Marcel Lapierre, c’est qu’il exprimait simplement ses raisons de faire le vin nature: pour que ça goûte bon, tout simplement. Il avait pris le temps de m’expliquer, très simplement, le parcours qui l’avait mené de ses cours d’oenologie moderne, au tournant des années 60, à une approche inspirée de la longue tradition de son coin de pays. Il m’avait raconté comment, en bon élève, il faisait ses premières cuves au domaine familial en respectant le code moderne, pendant que son père faisait la grimace («C’est comme ça qu’il faut faire, papa» – «Oui, mais c’est pas bon», répondait le paternel), et comment des rencontres avec Jules Chauvet -mais aussi avec un patriarche du clan Hugel qui lui avait parlé des soins à donner aux vignes – l’avaient convaincu de laisser tomber tout l’arsenal et de prendre la voie du 100% raisin. Il racontait aussi avec un sourire bien sage la façon dont l’ami avec qui il embouteillait pensait qu’il avait pété les plombs en refusant de mettre du soufre dans le vin («il fallait que je le suive tout le temps, il voulait mettre du soufre dans la cuve pour me rendre service»). Avec le même sourire, il expliquait ses erreurs, au début de son travail sans soufre, en pensant qu’il avait tout compris le truc, avant de voir revenir des bouteilles défectueuses – on apprend de ses erreurs, qu’on dit. Et lui, il en avait appris – et transmis – beaucoup.

En mettant les mains dans le raisin, cet automne, chez Closson Chase, en Ontario, un domaine où les fermentations natures sont privilégiées, j’entends souvent la voix de Marcel Lapierre et de ses copains vignerons du Beaujolais. Une vision qui demande d’abord d’être attentif au raisin, à ce qui se passe dans la cuve. Et une approche qui, si elle est nature, est loin d’être non-interventionniste: ce qui ne se fait pas par l’arsenal chimique et technologique, il faut le faire à la main, au nez, au doigt et à l’oeil, avec plus d’attention et plus de précision encore. C’est une belle leçon – et une leçon qui restera. Merci pour ça, monsieur Lapierre.

L’ami Olif, sur son blogue, a trouvé une belle façon de résumer les choses, aujourd’hui, en ouvrant un morgon 2006:

c’est certain que le Beaujolais nouveau aura comme une pointe d’amertume en fin de bouche, cette année… Du moment qu’il ne sent pas la banane, Marcel ne devrait pas s’en plaindre.

Tout bêtement, je n’ai qu’une bouteille de son morgon à la cave. Elle y restera encore un bon moment. Même si, en pensant à Marcel, j’ai soif.

Published in: on 11 octobre , 2010 at 3:03  Comments (2)  
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  2. […] Remy Charest sur son blog A chacun sa bouteille:  »Ce qui m’avait frappé, chez Marcel Lapierre, c’est qu’il exprimait simplement ses raisons de faire le vin nature: pour que ça goûte bon, tout simplement. » […]


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