Un cognac à 1500$ – et d’autres délices plus abordables de la maison Ferrand

Le prix a de quoi vous faire avaler votre café-cognac un brin de travers. 1526,50$, pour un flacon de 700 millilitres, c’est pour le moins considérable. Et à la portée de peu. Mais est-ce vraiment trop pour un cognac Grande Champagne datant de 1914, une rareté arrivée par un très heureux concours de circonstance entre les mains de la maison Cognac Ferrand ?

En voyant apparaître les neuf bouteilles allouées au Québec dans les arrivages des SAQ Signature, les boutiques très haut de gamme de notre monopole d’État, le souvenir d’une exceptionnelle dégustation m’est revenu avec grand plaisir. En mars dernier, l’agence Bellavita Grands Crus, spécialisée dans les spiritueux avait en effet organisé, au restaurant L’Utopie, à Québec, un joli défilé de cinq cognacs Ferrand, commenté par Guillaume Lamy, maître de formation de la maison située dans la Grande Champagne, le terroir le plus réputé de cette appellation de spiritueux.

La première vertu de cette soirée aura sans doute été de souligner, grâce à des bouchées élaborées sur mesure par les chefs et sommeliers de l’Utopie, que le cognac n’a pas à être relégué au rôle de pousse-café, loin de là. Les accords proposés invitaient à considérer fortement le grand intérêt de servir du cognac avec le dessert – voire avec l’ensemble d’un repas.

Si la plupart des bouchées proposées étaient de petits desserts, la Réserve 1er Cru Grande Champagne, faite d’un assemblage de cognacs de 15 à 25 ans, était servie avec une mousse de foie gras confite au cidre de glace, agrémentée de mandarine et de poivre rose. Les aspects fruités, épicés et l’onctuosité du foie gras répondaient très bien au caractère onctueux, épicé et bien fruité du cognac, d’une grande finesse et d’une bonne complexité.

L’Ambre, le cognac « ordinaire » de la maison (plus âgé que la plupart des XO, avec son mélange de cognacs d’une moyenne de 10 ans – et vendu autour de 70$ la bouteille), avait été agréablement servi avec une mousse de mascarpone au sirop d’érable. L’érable révélait bien le boisé du cognac et se mariait bien à son côté vanillé et floral.

À chaque cognac son accord, disaient toutefois les deux services suivant, la Sélection des anges (cognacs de 25 à 35 ans) et l’Abel (cognacs de 40 à 50 ans), deux boissons aussi contrastées que possible, dans un registre complexe et prenant. Le premier, costaud, donnant dans le caramel, les fruits confits, le cuir et les épices, avait été associé à des saveurs prenantes : Kalhua, caramel, noisettes torréfiées, thé fumé. L’Abel, pour sa part, véritable dentelle, tout en délicatesse et en subtilité, aérien, long en bouche et complexe, rencontrait plutôt une pâte de poire à la fève tonka sur un croustillant aux cinq épices.

Et le fameux cognac de 1914, lui ? Il avait une belle histoire, en prime, puisqu’il s’agissait d’un cognac fait par les femmes, en cet automne où les hommes étaient partis pour ce qu’on pensait alors être une courte guerre. Une de ces dames avait conservé à sa cave une petite barriques de cette époque, avant d’approcher la maison Ferrand pour voir s’ils y étaient intéressés. Le maître de chai ne s’étant pas fait prier, le cognac fut acheté et embouteillé séparément, ce qui en fait un produit vraiment à part.

En effet, le cognac est un produit d’assemblage, les fabricants réunissant les caractères distincts de diverses cuvées pour produire un cognac « complet », avec le fruité de l’un, l’épicé de l’autre, le floral du suivant, etc. Le 1914, lui, avait donc un caractère plus singulier, moins rond, peut-être, mais très affirmé, conservant à presque cent ans un fruité étonnant, sous des notes de sous-bois, de rancio, de noisette et de vanille. Un liquide précieux qui faisait plaisir à boire autant par sa qualité que par son caractère véritablement unique. Car c’est aussi ça, le plaisir des boissons rares et anciennes : le fait qu’on ne rencontre ça qu’une fois dans sa vie. Si on est chanceux. Et ça, comme dirait l’autre, ça n’a pas de prix…

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