J’ai depuis longtemps une affection certaine pour les vins du Château Doisy-Daëne, un domaine des Graves connu pour son sauternes (il est souvent considéré comme le meilleur des deuxièmes crus de l’appellation). J’ai dégusté le liquoreux (un « grand vin de Barsac », même s’il est sauternes, c’est comme ça) une fois, et j’en garde un souvenir exceptionnel, par la finesse et la complexité aromatique du vin. Le prix étant loin d’être stratosphérique, il constitue une excellente option pour ceux qui veulent apprécier toute la finesse du sauternes, sans avoir les moyens de s’offrir Yquem – ou encore L’Extravagant de Doisy-Daëne, une sélection spéciale du liquoreux qui compétitionne avec Yquem, côté prix.
Doisy-Daëne produit aussi un vin sec, tout simplement classé Bordeaux Blanc, dont j’ai apprécié plusieurs millésimes, au fil des ans. Le 1996, en particulier, m’avait superbement réconforté à la fin d’une journée particulièrement fatigante et difficile, il y a six ans. J’avais tellement apprécié le fruit élégant, le parfum accompli et ouvert, les belles notes minérales, le doré de la robe, que je m’étais surpris à finir la bouteille au fil d’un souper seul chez Laloux, à Montréal. Ce n’est vraiment pas dans mes habitudes, et c’était la preuve de l’équilibre exceptionnel du vin et du plaisir qu’il offrait. J’en ai bu une autre bouteille, sortie de la cave deux ans plus tard, et le bonheur était tout aussi grand.
C’est donc avec des attentes élevées que j’ai débouché une bouteille du millésime 2004, qui affiche une étiquette renouvelée mettant fortement en valeur les initiales « DD » stylisées du château et, coïncidence, de l’actuel maître des lieux, Denis Debourdieu.
Le vin m’a un peu dérouté, au premier abord. Très discret, avec des accents salins et un brin d’agrumes, au nez comme en bouche. Le caractère salin l’emportait même sur le reste, en bouche, ce qui n’était pas exactement une preuve d’équilibre. En s’ouvrant dans les verres, il a bien pris un peu de fruit, un petit accent de citron confit au nez, mais on ne peut pas dire qu’il satisfaisait en lui-même. Par ailleurs, il s’est révélé un très bon compagnon pour les darnes de flétan grillées à la salicorne qui constituaient le principal de notre repas, avec de délicieuses pommes de terre rates et une chiffonade de poireaux d’été exceptionnellement douce. La salicorne ayant un caractère salin, elle donnait probablement au vin l’occasion d’exprimer un peu mieux son fruit et sa vivacité.
Peut-être faut-il simplement qu’il se place. Après tout, le 1996 que j’avais tant aimé avait été bu entre cinq et sept ans d’âge, plutôt que trois. Le temps peut arrondir bien des angles. Mais je soupçonne aussi que le millésime n’offre pas autant de rondeur que certains des précédents.