Nuits blanches dans les vignobles québécois: après la chaleur, le gel

Vue du lac Seneca depuis le vignoble de Sam Argetsinger, dans le Nord-Ouest de l'État de New York. Les petites feuilles des bourgeons fraîchement débourrés sont particulièrement vulnérables au gel printanier.

Dans le monde des vignobles, il ne faut jamais se réjouir trop vite. Quand vous voyez un printemps chaud se pointer à l’horizon, comme en cette très belle saison qui enveloppe tout le Nord-Est du continent nord-américain depuis la fin du mois de mars, vous avez autant de raisons de vous inquiéter que de sourire. Et peut-être même plus de vous inquiéter, comme l’a démontré le gel qui a menacé cette semaine, au Québec – et aussi en Ontario et dans l’État de New York.

En effet, un printemps hâtif active rapidement la végétation, faisant éclater précipitamment les bourgeons des arbres et arbustes – et des vignes. Or, le bourgeon étant fait pour protéger les feuilles à venir du froid hivernal, c’est quand celui-ci s’ouvre que la végétation naissante est la plus tendre et la plus vulnérable. Et quand la chaleur s’installe tôt dans la saison, le débourrage hâtif de la vigne précède d’autant plus la fin de la période des risques de gel.

Si le gel vient happer les bourgeons, c’est toute la production de la vigne qui peut être compromise et diminuer ainsi le volume des récoltes considérablement: un gel tout à fait imprévu au printemps 2008, en Californie, avait fait tomber la production de certains vignobles de plus de 70%. Les pertes financières peuvent être considérables pour les vignerons – qui mettent donc tous les moyens pour tenter de résister aux humeurs de Mère Nature.

Résultat, même si la lutte au gel peut coûter cher en bûches et en nuits blanches, le jeu en vaut la chandelle. «Ça se compte en nombre de bouteilles,» expliquait hier Guillaume Leroux du vignoble Val Caudalies: l’année dernière, un gel tardif avait donné des pertes de 50 à 60% des vignes de cépage Maréchal Foch, diminuant significativement la production de rosé de la maison. De quoi motiver les jeunes artisans de cette maison (dont le Vidal sec est un des plus sympathiques blancs québécois) à ressortir sans hésiter dans leurs vignes après le match du Canadien…

Tout le monde sur le pont

Les nuits de dimanche à lundi, de lundi à mardi (et, dans les Cantons-de-l’Est, de mercredi à jeudi) ont ainsi provoqué un grand branle-bas de combat dans les vignobles de tout notre coin de continent. Avec l’arrivée annoncée du gel, les vignerons ont sorti tous les moyens disponibles pour combattre les températures descendues parfois jusqu’à -4°C, afin d’éviter que les bourgeons soient brûlés par le froid. La plupart auront brûlé des bûches ou des balles de foin un peu partout dans les vignes, afin de rehausser la température du vignoble d’un ou deux précieux degrés. D’autres arrosent continuellement les vignes pendant tout le temps où le mercure descend sous la limite de résistance des plantes (qui est en fait aux environs de -1,5°C). Certains utilisent des machines à vent qui font circuler l’air dans le vignoble, afin d’amener de l’air un peu plus chaud vers le sol froid et ainsi, d’éviter que la température descende au plus bas. Les plus fortunés, enfin, peuvent appeler des hélicoptères qui tourneront au-dessus des vignobles dans la nuit, produisant le même effet de circulation d’air, mais de façon plus importante – et plus coûteuse.

Des balles de foin encore fumantes et d'autres installées pour la nuit suivante, lundi dernier, au vignoble Closson Chase, dans Prince Edward County, en Ontario

Hier, les vignobles de toutes les régions concernées semblaient avoir échappé au pire. Aucun vignoble ne signalait de dommages significatifs.

Dans les Finger Lakes (New York), la maison Heron Hill rapportait bien comment ses viticulteurs avaient passé une nuit blanche dans le vignoble, à faire brûler du foin, mais des correspondants consultés dans la région ne rapportaient rien de majeur.

Dans le Niagara, les hélicoptères avaient tourné au-dessus de vignobles comme Creekside et Hidden Bench, dans les parties plus élevées de l’escarpement (les « Bench »), tandis que les machines à vent (des éoliennes à l’envers, pour ainsi dire) tournaient à plein régime chez Southbrook Wines, à Niagara-on-the-Lake. «We have dodged a bullet this time for sure» (bref, « on l’a échappé belle »), rapportait sur Twitter Brian Schmidt. de la maison Vineland, au lendemain de la vague de froid qui avait amené la température à -2°C à quelques endroits.

Dans Prince Edward County, la plus récente région viticole ontarienne, non loin de Kingston, le froid avait été plus sérieux, amenant plusieurs vignerons à brûler de bonnes quantités de foin – ou, dans un cas, à faire tourner des machines à vent. À part un dommage plus significatif dans un vignoble de pinot gris de la maison Sandbanks, les autres rapportaient des « brûlures » mineures. Quelques dommages légers aux feuilles, signalait par exemple la maison Karlo Estates, toujours sur Twitter. D’autant plus que les vignerons ont appris à ajuster la taille des vignes pour se prémunir contre les effets du gel: en effet, ils laissent des rameaux et bourgeons « de rechange », en début de saison, au cas où ceux-ci subiraient une humeur glaciale de la nature.

Cette façon de faire est aussi appliquée au Québec, dans le même esprit, comme le signale Anthony Carone, des Vignobles Carone, à Lanoraie, dans un billet de son blogue où il signale qu’un gel important survenu le 26 mai 2009 lui avait appris à mieux se prémunir cette année. (Sur le gel de 2009 et les méthodes de protection des vignobles, voir le document suivant.) Guillaume Leroux, au Val Caudalies, signalait que 10% des vignes avaient été affectées – mais qu’il avait gardé des rameaux supplémentaires pour faire face au danger de gel. Au Vignoble Les Pervenches, Véronique Hupin et Michael Marler combinaient feux, machine à vent et applications d’une préparation biodynamique de valériane pour protéger leurs vignes de chardonnay, de seyval, de Frontenac, de zweigelt et de Maréchal Foch. Avec succès, jusqu’à maintenant.

Si tout le monde s’en tire sans trop de dommages, le printemps hâtif pourra être considéré comme une bénédiction, plutôt qu’une malédiction, alors que la floraison, la formation des grappes et le mûrissement des raisins pourrait en être d’autant plus avancés. Pour autant que le soleil et la chaleur veuillent bien être de la partie un peu plus qu’en 2008 et 2009.

Mais avant de commencer à regarder ces étapes à venir, il faudra traverser la prochaine pleine lune de mai, un moment potentiellement propice aux gelées. Ce sera le 27 mai prochain – un an presque jour pour jour après le fameux gel qui avait fait tant de dommages, l’année dernière.

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  1. […] belle saison a déjà bien des avantages, pour les vignerons québécois. Les coups de gel printanier, sans être catastrophiques, avaient tout de même fait du dommage aux bourgeons, ce qui laissait […]


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