Pour le souper dominical, nous avions au menu un très beau poulet bio d’une taille considérable – sept livres, rien de moins – auquel j’avais décidé de relever substantiellement, en le frottant d’un mélange d’épices intense, d’inspiration nord-africaine: du cumin, du piment d’Espelette, de la coriandre, de l’ail, du poivre noir, un peu de cardamome et d’anis. Rendu aussi corsé, plus question de l’accorder avec un pinot noir ou un chardonnay, accords de référence avec le poulet rôti. Un rouge plus substantiel était de mise.
C’est ainsi que j’ai sorti de la cave un Château Bouscassé 1995, d’Alain Brumont, toujours considéré comme le grand artisan de la renaissance de Madiran, cette région du Sud-Ouest réputée pour de très beaux blancs liquoreux, mais surtout pour des rouges imposants, qui prennent longtemps à se révéler sous leur meilleur jour. Brumont est réputé avoir créé un style plus immédiatement charmeur, tout en restant assez costaud et apte au vieillissement.
Il y a dix, douze ans, j’avais été charmé, au fil de mes premières dégustations sérieuses. Du fruit, de la concentration, des tannins en masse: de quoi vieillir, quoi! Alors j’en ai mis quelques-uns à la cave, pour bien plus tard.
Depuis, j’ai eu l’occasion de goûter certains des vins de Brumont de cette époque – entre autres un Montus Prestige et un Bouscassé Vieilles Vignes – et j’ai déchanté quelque peu. Ce n’est pas que les vins s’étaient effacés: en soi, ils ont bel et bien un potentiel de vieillissement significatif. Mais l’usage considérable du chêne neuf, dans le vieillissement des vins, s’avérait problématique, avec une charge tannique prenant le dessus sur le caractère du vin lui-même.
Mon pari, du coup, c’est que le vin aurait la matière pour faire face à un plat épicé, et que celui-ci viendrait minimiser quelque peu la présence des tannins. Si l’équilibre était au rendez-vous, tant mieux. Et sinon, il y avait de quoi compenser dans l’assiette.
La couleur grenat, encore assez dense, montrait un vin ayant passé sa prime jeunesse, mais encore plein de matière et de vie. Un assez beau nez, aussi, avec des notes de chêne, oui, mais aussi de la prune, du raisin sec, du tabac et quelques petites notes herbacées, peut-être un brin de réglisse. En bouche, une bonne ampleur, avec des saveurs bien alignées sur le nez. Avec le poulet et les épices, un très beau mariage: le vin tenait le coup et son côté plus rond paraissait plus, pour une combinaison très goûteuse et satisfaisante.
Une fois passé le repas, je dois dire que le boisé a repris un peu plus le haut du pavé. Les tannins, en finale, se montraient un peu asséchants, avec une petite touche d’amertume. Pas aussi agréable. Et pas tellement un éloge du bois neuf en quantité.
Bref, le pari de servir ce vin avec un plat bien relevé était tout à fait le bon. Un madiran possède quand même, bois ou pas, une matière qui lui permet de faire face à des mets plus costauds. Même âgé de près de 15 ans, le Bouscassé avait encore cette matière et donc, ce qu’il fallait pour se colletailler au poulet à la nord-africaine.
Bref, si vous avez des Bouscassé ou des Montus des années 1990 à la cave, sachez qu’ils ne se seront pas tellement assouplis avec le temps – et après en avoir goûté quelques-uns, je ne crois pas qu’ils s’assoupliront tellement plus dans les années à venir. Mais si vous les buvez avec un repas conséquent – une bonne grillade, un gigot d’agneau bien relevé, un poulet à la nord-africaine – il y a encore bien du plaisir à en tirer.
Ceci dit, pour les millésimes plus récents, le tout est peut-être à revoir. Lors d’un dîner au restaurant L’Échaudé , il y a quelques années, Brumont présentait ses plus récents millésimes en mettant de l’avant une certaine modération dans ses façons de faire. Autant dans une viticulture plus raisonnée (il s’apercevait qu’il était en train de tuer ses sols, entre autres par des applications trop fréquentes de bouillie bordelaise, mélange de souffre et de cuivre) que par une vinification moins forte en bois neuf. Sympathique, volubile, démontrant une connaissance précise de son art, Brumont montrait aussi qu’il était capable de revoir ses façons de faire, pour améliorer ses vins et son vignoble. Peut-être que les vins y trouveront un meilleur équilibre, dans la durée. Réponse dans quelques années.
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