Le moins qu’on puisse dire, c’est que la dégustation des vins de la maison australienne Hardys organisée il y a deux semaines à la SAQ Jean-Lesage, à Québec, était affaire de contrastes.
Hardys, après tout, c’est une des plus grandes marques du monde, avec 300 millions de bouteilles vendues partout dans le monde. Une maison industrielle intégrée à l’empire Constellation, dont Vincor est la composante canadienne.
Et pourtant, le côté familial de cette maison fondée en 1853 est encore bien présent. À preuve, c’est Bill Hardy, l’oenologue en chef de la maison et cinquième génération de la famille Hardy à oeuvrer dans le monde du vin, qui animait la dégustation, une des premières étapes d’une tournée pancanadienne. L’animation était menée dans un excellent français, appris lorsque Hardy avait été envoyé étudier l’oenologie à l’Université de Bordeaux (et faire des vendanges chez Bouscaut et Haut-Brion), puis quand il a pris les rènes du Domaine La Baume que la famille venait d’acheter dans le Languedoc.
Et si la dégustation s’est faite à moitié autour de la série Stamp of Australia, produite à coup de millions de caisses, on sentait bien que le coeur de Bill Hardy penche vers les plus petites maisons qui composent l’empire. Un goût qui rejoint une nécessité pour l’industrie viticole australienne, dont les exportations ont été durement touchées au cours des dernières années, particulièrement aux États-Unis et en Angleterre, des marchés où les shiraz et cabernets costauds faisaient jusqu’à récemment un véritable malheur.
Pour Bill Hardy, si les exportations australiennes se portent bien en Asie – et au Canada, s’empressait-il de préciser – il est nécessaire pour le pays de mettre l’accent sur les particularités régionales, afin que «l’Australie ne soit pas une catégorie». Bref, qu’on n’aille pas acheter des vins australiens, mais plutôt des vins de MacLaren Vale, de Tasmanie ou de Coonawara, comme on achète du Bourgogne et de la Loire, plutôt que simplement du vin français.
Les vins
Les Stamp of Australia, en ce sens, sont des exemples parfaits de la «catégorie Australie». Des vins «pas très compliqués», comme le disait M. Hardy. Un chardonnay sémillon avec une bonne acidité, rafraîchissant, avec des arômes d’agrumes et un brin de fines herbes. Un cabernet merlot aux accents de tabac et d’épices, un peu de confiture de fraise, sur un mode assez équilibré, tout comme le shiraz-cabernet sauvignon, qui avait toutefois un accent de bonbon acidulé aux cerises que je trouve souvent dans des vins produits à grande échelle, avec tous les recours technologiques possibles. Bill Hardy expliquait d’ailleurs que les vins étaient acidifiés pour leur garder une fraîcheur que le climat australien rend difficile à maintenir dans les raisins très mûrs, et que le goût boisé très maîtrisé trouvé dans les Stamp of Australia était dû à l’installation de douelles (bref, de planches de tonneaux) directement dans les immenses cuves en inox où le vin prend forme. Pour lui, à peu près impossible de faire autrement, à ces échelles de production.
Il en va autrement pour les plus petits domaines contrôlés par Hardys, où, précisait Hardy, on tend à revenir à une approche plus naturelle (levures naturelles, maturation sur lies, etc.), après une ère «très technologique» dans les années 80 et 90. Tant mieux. Voilà qui devrait aider à exprimer le caractère régional plus aisément.
Ce caractère, on le sent bien dans le Cabernet sauvignon 2006 Tintara, une maison achetée par la famille Hardy en… 1876! MacLaren Vale est une région relativement fraîche, ce qu’on sent bien dans les arômes très classique de café et de cassis, avec un peu de poivron rouge et des tannins bien présents. Un excellent rapport qualité-prix (26,50$). Rien de confituré, et pas d’alcool excessif. Hardy insiste que les Australiens cherchent à limiter le taux d’alcool de façon naturelle, devant des années très chaudes, et que leurs vins, quoi qu’il en soit, n’atteignent pas les sommets de 15, voire 16 pour cent vus dans d’autres régions.
Cette réserve relative se goûte aussi dans le Shiraz 2005 Château Reynella, une autre propriété historique acquise par les Hardys et particulièrement appréciée de la famille, qui y a installé son quartier général. Rien de nordique là-dedans, bien entendu, mais un bel équilibre entre des saveurs de fruit noir, de bleuet, de prune, de cacao, avec un élément toasté en bouche, mais une impression assez ferme, structurée, sur une belle longueur et une ampleur tout à fait agréable. Par rapport à bien des shiraz australiens ou des syrahs californiens, un modèle d’élégance.
Tout au sommet de la liste trônait le cabernet sauvignon 2001 Thomas Hardy, un assemblage de cabernet de Margaret River, dans l’ouest de l’Australie, et de Coonawara, à l’autre bout du pays. Bill Hardy explique que ce vin nommé d’après le fondateur de la maison est tiré des meilleures parcelles de l’année, assemblées après vinification, parfois d’un seul endroit, parfois de plusieurs provenances. Vendu 90$ en importation privée, le vin montrait un panache vraiment remarquable, avec des saveurs de café, de menthe, de champignon, de poussière, de cerise séchée, de vanille et de cèdre, voire de canneberge. Bref, un vin complexe, encore une fois bien équilibré, sans chaleur excessive, qui pourrait vieillir agréablement encore plusieurs années. Avec le Shiraz Eileen Hardy, qui porte le nom de la grand-mère de Bill Hardy, laquelle avait pris la relève du domaine pendant de nombreuses années, à la mort de plusieurs des hommes de la famille dans un écrasement d’avion, le Thomas Hardy se veut la cuvée exemplaire de la maison.
Fort bel exemple, dans un très bel esprit… qu’on aimerait bien retrouver un peu plus dans les cuvées plus simples de la maison. On peut toujours rêver…
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