«Vous buvez chez lui et vous crachez chez moi? C’est du propre, ça, monsieur!
– Vous en faites pas, tout à l’heure, je ferai l’inverse!»
C’est en ces termes et avec un grand éclat de rire que j’ai rencontré Philippe Nusswitz, lors du récent Salon des vins de Québec. Au kiosque des Vins Alain Bélanger, je goûtais les vins de Romain Guiberteau et, que voulez-vous, le crachoir était du côté de chez Nusswitz. Ce qui m’a valu deux belles rencontres.
Une belle façon de démontrer que, au-delà de la possibilité de déguster un vaste choix de vins, l’intérêt d’événements comme le Salon réside dans la possibilité de rencontrer les producteurs et en particulier, les vignerons qui font le vin. Bref, la possibilité de mieux comprendre les vins, d’où ils viennent, comment ils sont faits, etc.
Romain Guiberteau
Celui chez qui je buvais en crachant chez Nusswitz, c’était Romain Guiberteau, producteur bio de Saumur qui expliquait patiemment à deux néophytes intéressés la nature de ses terroirs et les défis de la viticulture en bio.
En première ligne, il y avait le Saumur 2006 « tout court » du Domaine Guiberteau. Un rouge produit à partir de divers vignobles de 40 à 70 ans d’âge, ce qui ajoutait une structure évidente au fruit rouge expressif de la cuvée. Ensuite, il y avait deux crus, dans le millésime 2004: Les Motelles et Les Arboises, tous deux provenant d’un élevage de 30 mois, la différence étant le terroir, argileux pour le premier, argilo-calcaire pour le second. Le premier m’a paru un peu moins convaincant que le second. Les Motelles était rond, viandé et tannique, tandis que Les Arboises étaient plus poivré et plus net, avec un très beau fruit. Un point pour le calcaire.
Le Saumur blanc Brézé 2004, un vin de chenin blanc élevé 24 mois, et offrant des arômes complexes de poire, de pêche de vigne, de raisin frais, mais aussi de cette laine mouillée (disons lanoline, plus gentiment) si typique du chenin, doublée de notes herbacées et d’une minéralité solide et impressionnante. Mon préféré, au total.
Alors j’ai dit merci beaucoup, et je suis allé boire chez le voisin.
Philippe Nusswitz
Nusswitz, lui, était un peu plus volubile sur un terroir qu’il a adopté, plutôt qu’hérité. Des vieilles vignes perchées sur les flancs des Cévennes, profitant grâce à l’altitude d’écarts de température favorables à un mûrissement équilibré, où il a établi son domaine avec son épouse Pascale.
Sommelier (primé lors d’un concours de meilleur sommelier mondial, dans les années 80), Nusswitz m’a dit de façon amusante que, puisqu’il parlait constamment du vin, il avait d’abord voulu créer un vin dont on ne parlerait pas. Bref, « un vin de copain », gourmand, à boire à grandes lampées autour d’une table animée. Je dirais qu’avec l’Orenia 2006, il a plutôt réussi: de la mûre, de la fraise, abondante et généreuse.
Le fruit est tout aussi à l’avant-plan dans son « vin de caractère », le Miratus 2006, tiré de vieilles vignes entourées de garrigue, un caractère qui transparaissait délicatement sous le fruit d’une si grande pûreté, superbe, rehaussé par une belle trame minérale. Pour Nusswitz, le Miratus est plus sérieux, même s’il est aussi axé sur le fruit: pas de contradiction pour celui qui l’a créé, avec une philosophie qui laisse le vin exprimer son caractère, et beaucoup, beaucoup de plaisir pour celui qui le goûte.
Les vins de Philippe Nusswitz comme ceux de Romain Guiberteau sont disponibles en importation privée auprès des Vins Alain Bélanger.
Pago del Vicario
Une note aussi sur Pago del Vicario, un domaine du centre de l’Espagne qui était représenté au kiosque de Francs-Vins par José Maria de Castañeda, leur « directeur international ». Attentif et parlant un excellent français, ce monsieur faisait un excellent ambassadeur pour ces vins de facture moderne, créé avec une inventivité évidente par l’oenologue de la maison, Susana López Mendiondo.
Certains des vins de Pago del Vicario (le Clos du Vicaire, si vous voulez) m’ont semblé un peu lisses, un peu trop polis, comme ce Penta fait de cinq variétés élevées cinq mois en barriques (Tempranillo, Cabernet sauvignon, Merlot, Syrah et Petit verdot) qui faisait un peu bonbon. Dans l’ensemble, les cuvées avaient du goût et de l’ampleur, comme le 50-50 (cabernet sauvignon et tempranillo), ample, riche et savoureux, ou encore l’Agios (80% tempranillo, 20% grenache) dense, sérieux et tanniques, avec de belles notes de tabac.
Certains étaient vraiment surprenants, comme ce Rosado 2007 (rosé) très net et consistant, fait de 100% petit verdot qu’on prendrait bien avec une grillade estivale. Plus surprenant encore, ce merlot Dulce surmaturé, avec des allures de porto ou de vin doux naturel, mais titrant un plus léger 14.5% d’alcool. Beau fruit, surprenamment frais, bon équilibre, très agréable à boire.
Vendus pour la plupart autour de 20$, les vins de Pago del Vicario sont disponibles, eux aussi, en importation privée.
Pieropan
Un producteur que j’aurais aimé vraiment rencontrer, a posteriori, c’est Andrea Pieropan, qui représentait la maison familiale, une des plus réputées de la région du Soave. Le premier jour du Salon, je l’ai entendu, d’assez près, décrire ses crus de Soave à deux jeunes femmes bien intéressées – avec raison.
J’aurais dû rester. Car j’aurais bien voulu lui poser plus de questions sur deux autres vins de lui que j’ai goûté le dimanche au comptoir d’Enotria. Tout d’abord le Ruberpan 2004, un rouge fait à 60% de corvina, le rouge typique du Veneto, avec 40% de rondinella, corvinone et croatina veronese. De très beaux arômes de fruits rouges, très nets, sur un fond tannique fin et bien présent, avec une acidité rafraîchissante et une structure précise et équilibrée. Un vrai plaisir et une bouteille qu’on laisserait bien vieillir à la cave, valant amplement ses 36,50$.
Le plaisir était encore plus grand avec Le Colombare 2004, un recioto di Soave fait à 100% de garganega, le cépage blanc typique des Soave, élevé cette fois en vin doux à partir de raisins séchés partiellement sur des lits de paille. Éclatant, intense, il fleurait bon le caramel, l’abricot, la fraise des bois. Un de ces vins qui réussit parfaitement à trouver l’équilibre entre la concentration et la fraîcheur. Tellement que, lors de ce marathon de dégustation, Le Colombare est un des seuls vins que je n’ai pas craché. Je l’ai gardé dans le verre en déambulant dans les allées, méditant sur ce nectar exceptionnel. Il en reste quelques bouteilles ça et là dans les SAQ, ces jours-ci. Allez méditer là-dessus.
Et la suite…
En passant, je suis long d’avoir fini d’écrire sur le Salon et ce qui l’a entouré. Un petit tour du côté de sauternes et barsac, un retour sur la sommellerie moléculaire et les vins de Beaucastel, ainsi qu’un passage chez Mission Hill sont encore au programme, au travers de l’actualité et des dégustations à venir. À bientôt, donc.
J’ai aussi bien apprécié rencontrer le duo Guiberteau-Nusswitz avec lesquels nous avons longuement discuté… Coup de cœur… Quelle ouverture et générosité… Sans renier le rôle des agents, le fait de rencontrer ceux qui font le vin fait toute la différence…
Résultats!: achat d’une caisse de Saumur chez Guiberteau et d’une caisse de Orenia (rouge) chez Nusswitz… et le plaisir de revoir leur bouille dans le fond de mon verre lors de l’ouverture d’une de leur bouteille…
Effectivement, il y a un plaisir supplémentaire à boire « en contexte », pour ainsi dire, avec à l’esprit le vigneron et l’intention, en plus du bon jus. Je reprendrais bien un peu d’Orenia….