Peut-on avoir trop d’une bonne chose? L’abondance de Bordeaux 2005 disponibles à la SAQ amène à se poser la question.
L’automne dernier, pour la première fois depuis la création de l’excellent magazine haut-de-gamme de la SAQ, Cellier, je n’ai acheté aucune bouteille issue des arrivages qui accompagnent chaque numéro. J’ai été plutôt minoritaire, de ce côté, puisque les bordeaux de l’excellent millésime 2005 qui en constituaient l’essentiel sont partis à une vitesse record.
Le Cellier coincidait grosso modo avec la livraison chez leurs patients acheteurs des grands bordeaux 2005 du Courrier vinicole, achetés en primeur deux ans plus tôt. Pour moi, le budget bordeaux était donc passablement entamé. Même vidé.
Mais l’entrée en scène des bordeaux 2005 ne s’est pas arrêtée à ces deux livraisons. En octobre, le Courrier vinicole a envoyé un catalogue des Deuxièmes vins de Bordeaux 2005, avec une quarantaine de ces « petits » vins de grands crus. En prime, des bordeaux 2005 « courants » sont arrivés régulièrement sur les tablettes de la SAQ. Et depuis novembre, les SAQ Signature de Québec et de Montréal ont reçu, de semaine en semaine, les résiduels du Courrier vinicole des Grands vins de Bordeaux 2005 et d’autres arrivages subséquents du même millésime.
Les invendus du Courrier vinicole, une vente par catalogue où les grands crus bordelais ont été plus souvent qu’autrement rationnés face à une demande excédant l’offre, montrent que les amateurs de vin québécois avaient frappé un plafond de verre bouteille dans leur amour du vin. La SAQ Signature de Montréal recevait ainsi, le 27 novembre, 683 bouteilles du Château La Tour Carnet, 278 bouteilles des Ormes de Pez, 266 bouteilles de Dufort-Vivens, 197 bouteilles de Château Pibran, 185 bouteilles de Léoville-Las Cases et autant de Gruaud-Larose, ou encore une centaine de bouteilles de Latour-Martillac, de Sociando-Mallet, de Palmer, de Cos d’Estournel et même de Lafite-Rothschild et de Mouton-Rothschild. À 1000$ la quille, les Rothschilds et leurs copains du premier rang avaient de quoi effrayer l’acheteur, il faut bien le dire. Mais du Chasse-Spleen et du Montrose en reste? Ça, on l’avait rarement vu.
Et ce n’est pas fini. Le 29 janvier, la SAQ a mis en vente dans son réseau un nouvel arrivage de « Grands » bordeaux. Des quantités significatives d’une quinzaine de châteaux appréciés commme le Rollan de By, le Potensac, le Cantemerle et un de mes margaux favoris, le Rauzan-Gassies.
En prime, la SAQ Signature recevait le même jour un deuxième arrivage majoritairement bordelais en deux semaines. Une quinzaine de vins de 2005, plus d’autres millésimes, était arrivé sur les rayons de ces boutiques de luxe du monopole il y a deux semaines. Et encore une vingtaine de 2005 cette semaine, y compris du Latour, du Margaux, du Langoa-Barton et – mon préféré, tant pour le rapport qualité-prix que tout court – du Ferrière à un assez raisonnable 57$.
Tous ces vins viennent garnir une liste assez longue: une recherche de vins de Bordeaux pour le seul millésime 2005, sur le site SAQ.com, vous donnera quelque 500 produits disponibles. On appelle ça de beaux restes…
Quoi qu’il en soit, l’abondance des 2005 montre une certaine limite à l’élasticité du marché du vin haut de gamme au Québec – et c’est pas mal la même chose à l’échelle internationale. Une limite qui met en lumière le risque auquel fait face Bordeaux, pour les millésimes qui suivent. Les primeurs 2006 et 2007, pour des millésimes nettement inférieurs au superlatif 2005, ont causé passablement de protestations des grands acheteurs, qui n’ont pas tellement apprécié que les prix demeurent perchés près de leur niveau record. Avec une économie mondiale en déroute, l’ambition mercantile des Bordelais risque de devenir hautement problématique. Les lendemains risquent d’être amers.
Ceci dit, le plaisir de boire des bordeaux qui ont vieilli un certain temps n’est pas négligeable. En blanc autant qu’en rouge. Et pour vous en donner quelques exemples, je complète cet article par trois notes de dégustation des dernières semaines. Des vins qui valaient leurs prix (des prix d’avant l’inflation sentie depuis une dizaine d’années) et qui offraient beaucoup de plaisir. Surtout les blancs, d’ailleurs, une couleur qu’on néglige trop souvent en pensant aux vins de la Gironde.
Chasse-Spleen Blanc 1995
Beau nez de cire d’abeille et de citron confit, un peu de marmelade, une légère touche épicée rappelant le cèdre et provenant probablement du fût. 12.5% d’alcool, très raisonnable, vin pas très gras en bouche, saveurs d’agrumes bien marquées, acidité encore bien présente: on aurait pu l’attendre encore.
Château Bouscaut 2000, Pessac-Léognan
Superbe bordeaux blanc combinant, sous une robe dorée, l’onctuosité et le gras d’un vin mûr et mature avec une acidité très fine et un beau fruit. Du citron confit, de la pêche et du miel et un brin de minéralité, sur une longue finale extrêmement agréable. J’en reboirais n’importe quand.
Château Kirwan 1995, Margaux
Vinifié sous la houlette de Michel Rolland, ce Kirwan d’un très beau millésime montrait de belles notes de tabac et de cèdre, avec de la confiture de framboise ou de mûre en finale,des tannins souples, un peu de sous-bois et de racine au nez. La couleur grenat aux reflets vermillon montrait la maturité. Agréable, mais relativement linéaire et sans un caractère bien défini. Pas de quoi m’encourager à payer les 89$ requis pour le 2005 (sans parler des 137$ demandés pour le 1996. L’inflation, je vous dis…
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