J’arrive en Valais pour célébrer Noël au beau milieu d’une bataille ferme (en tout cas, selon ce que je lis dans Le Nouvelliste, le quotidien valaisan) entre le canton, où l’on réclame avec insistance un élargissement des appellations d’origine contrôlée (AOC) pour assurer une meilleure mise en valeur de la très riche tradition locale, et les autorités fédérales, où l’on est apparemment beaucoup moins pressé de rendre ces appellations officielles.
A priori, j’ai tendance à donner raison aux Valaisans. Les progrès exceptionnels de la viticulture valaisanne, au fil des deux dernières décennies, ont largement à voir avec la volonté des vignerons (appuyés par les autorités cantonales du Valais, qui ont mis une variété de programmes en place) d’améliorer la qualité et de mettre en valeur les nombreux cépages traditionnels de qualité qui font le patrimoine local.
Le cornalin, l’humagne, la rèze, l’amigne et l’arvine sont autant de cépages à peu près exclusifs à cette région, également connue pour son fendant (fait de raisin chasselas), son gamay et sa dôle (un assemblage de pinot noir et de gamay). Et leur potentiel ne cesse d’être démontré. La petite arvine est notamment une véritable gloire locale, avec sa grande richesse et ses saveurs très distinctives – notamment une petite note saline tout à fait originale.
Quand j’ai commencé à venir en Valais, il y a une quinzaine d’années, on parlait beaucoup de la fin des protections douanières qui, jusque-là, donnaient un avantage considérable aux vins suisses sur leur marché intérieur. Un peu comme au Canada, quand le libre-échange avec les États-Unis, en 1988, a fait tomber les barrières tarifaires qui protégeaient alors bien des vins de mauvaise qualité, la compétition accrue a poussé les producteurs à hausser la barre.
C’est ainsi que, plutôt que de produire en masse des vins simples de coopératives, mis en bouteille sous capsule dévissable (bien avant la tendance actuelle) pour consommation immédiate, on s’est mis à mettre l’accent sur les terroirs spécifiques et les cépages spécifiques, en travaillant des cuvées spéciales. Ça donne parfois des vins où l’on force le nouveau bois, où l’on pousse trop l’extraction – comme ça se fait un peu partout dans le monde, d’ailleurs – mais le plus souvent, ça veut dire qu’on cherche à exprimer plus clairement des caractéristiques locales qui se voyaient gommées dans les assemblages.
Un tour chez les Saudan
J’en ai eu un exemple hier soir, à peine débarqué de l’avion, alors que des voisins de mes beaux-parents, dans le petit village de Chemin, perché sur le mont du même nom, en haut de Martigny, m’ont amené goûter les vins d chez Eddy et Samuel Saudan à Martigny-Croix. Des vignerons-encaveurs comme il y en a des centaines, en Valais, cultivant quelques hectares et produisant leurs cuvées à petite échelle.
Perchés sur un coteau assez abrupt, sur la face ouest de la vallée où se blottit Martigny, les vignobles de la famille Saudan, vignerons depuis six générations en ces lieux, donnent des résultats bien différents selon les lieux-dits dont ils sont issus.
Hier soir, j’ai goûté par exemple deux des cinq cuvées de fendant produites par la maison : les Gérardines et les Grèpons, correspondant toutes deux à un lieu-dit dans le coteau. Les Gérardines est plus fruitée, gouleyante et sympathique : « un vin d’apéro », populaire dans les bistros, dit simplement Samuel Saudan en la faisant goûter. Les Grèpons jouent sur une tout autre corde : un vin plus sec, plus net, avec de belles notes minérales. Pas de mal à croire Samuel quand il souligne que cette parcelle a un terroir plutôt calcaire. Il faudra bien que je retourne goûter la cuvée Sous les rochers, d’un carré de vignes situé sous un genre de gros éperon rocheux qui n’a de cesse de s’effriter et qui donne ainsi une toute autre allure au vin.
En attendant, j’ai aussi goûté un gamay très sympathique, avec du fruit rouge expressif et un peu de poivre en final, ainsi qu’un humagne blanc au parfum expressif de miel de trèfle, ainsi qu’une malvoisie mi-flétrie, un vin moelleux bien fait et qui évite la lourdeur en gardant assez d’acidité.
L’humagne blanc exprime bien la direction que Samuel Saudan veut donner au vignoble familial : s’il n’a pas encore planté ses racines bien profond, il exprime déjà bien son potentiel, sur un axe misant sur la pureté du fruit (le vin ne touche pas le bois, ce qui est plutôt une bonne affaire. Le 2007 est la première année de production pour ce vin issu de vignes qui atteignent cinq ans. Même chose pour le cornalin et l’humagne qui viennent de s’ajouter à la liste des produits, tandis que le païen, planté il y a quatre ans, sera au rendez-vous l’année prochaine.
Cette conversion du vignoble, où se trouvait déjà du diolinoir, du gamaret et du garanoir, trois nouveaux cépages créés en Valais en faisant des hybrides entre divers cépages de vitis vinifera, répond à la tendance qualitative qui pousse les producteurs de la région. Clairement, on veut hausser la qualité et la typicité de la production, en mettant l’accent sur les forces locales. C’est là que reposent les meilleures chances de succès du vignoble suisse, qui ne peut clairement pas compétitionner sur le volume et le prix. Tant mieux, puisque ça les amène dans de si belles directions.
J’ai bu un blanc de Eddy et Samuel SAUDAN sur un gâteau au fromage Appenzell,
vin exceptionnel (Dôle blanche blanc 2005). Forte présence, donc forte personnalité.
J’ai eu l’occasion de boire de nouveau leurs fendants, depuis que j’ai écrit ce billet, et le plaisir de leur caractère minéral et pétillant était entier. De la personnalité, oui.