Une rencontre à l’échelle moléculaire avec François Chartier

À l’invitation du sommelier Frédéric Gauthier, je me suis rendu mardi soir au Cercle, l’établissement jumeau du restaurant L’Utopie, sur la rue Saint-Joseph, à Québec, pour le lancement de la Sélection Chartier 2009. Un événement qui était, en fait, beaucoup plus qu’un simple lancement, mais aussi une occasion pour François Chartier de démontrer l’efficacité et la pertinence des recherches qu’il effectue dans le domaine de la sommellerie moléculaire.

La quoi, direz-vous peut-être ? Bien, une approche de sommellerie basée sur la correspondance entre des molécules conférant des saveurs bien spécifiques, présentes à la fois dans un vin donné et un aliment donné. Le fait de réunir des aliments et vins comprenant ces mêmes molécules permet, selon le travail effectué par Chartier depuis trois ans, avec en chemin des visites chez El Bulli et son champion de la cuisine moléculaire, Ferran Adria.

Pour bien illustrer ce travail de longue haleine, qui vient rendre systématiques des savoir-faire qui étaient plutôt instinctifs à ce jour, le sommelier moléculaire avait fait asseoir les invités au lancement à des tables, afin que l’on prenne le temps de bien déguster les bouchées et d’apprécier les mariages proposés. Comme il le disait durant sa présentation, les bouchées sont habituellement engouffrées bien distraitement, dans ce genre d’occasions – alors que là, les petits bijoux concoctés par Stéphane Modat, suivant les indications moléculaires de François Chartier, méritaient une dégustation attentive.

Quand on vous offre une combinaison de « meringue de persil frisé, fenouil confit à la badiane, crémeux de barre à boulard de la ferme Tourilli, perles de jus de yuzu biologique et fleur de sel à la lime », il est souhaitable qu’on prenne le temps de bien suivre ces saveurs évoluer en bouche et de voir ensuite comment y répond, par exemple, un Verdejo Bribon 2006 de la maison Prado Rey. Dans les deux cas, ce sont des saveurs anisées et des impressions de fraîcheur en bouche qui sont présentes et qui se répondent, faisant passer des vagues mentholées et une belle amertume autour du sucré, du salé, de l’herbacé, etc.

Les mariages croisés concoctés par Chartier et Modat affichaient parfois des résultats saisissants, révélant les diverses facettes d’une bouchée, selon le vin qui y était rattaché.

Par exemple, le chef avait concocté un genre de pâte de fruits de poivron rouge brûlé à l’huile de sésame, servi avec un petit cube de thon rouge mariné et grillé. Avec le Verdejo, la chair bien rosée du thon et le goût du poivron rouge prenaient le dessus, le caractère végétal (la pyrazine végétale) étant mis en valeur dans le vin comme dans le plat. Avec le Château Garraud, un Lalande-de-Pomerol bien boisé, la même bouchée prenait une tout autre couleur puisque les arômes et saveurs torréfiés du vin et ceux du thon, du poivron brûlé et du sésame (les lignanes, pour le sésame en particulier) entraient en résonance, accentuant le caractère grillé des aliments.

Je ne vous ferai pas la liste complète des plats servis ou des molécules recherchées. Sans pouvoir goûter, ça peut devenir un peu fastidieux à la lecture. Et de toute manière, le Méchant Raisin a fait, plus tôt cette année, un très bel exposé sur le sujet, illustré et tout et tout. Allez-y voir, ça vous mènera plus loin.

Ceci dit, je m’en voudrais de ne pas mentionner le Madère 1995 de Henriques y Henriques qui accompagnait un petit disque de betterave et un gâteau blanc surmonté d’un dôme de chocolat blanc dont éclatait du lait d’amandes, quand on y croquait. Un magnifique exemple de ce que le madère peut offrir en finesse et en ampleur, marié avec la précision que commande la démarche de sommellerie moléculaire.

Le principe, ceci dit, ne s’arrête pas au vin. À l’arrivée et au départ, on servait du thé avec des petites bouchées appropriées, selon des mariages de saveurs tout aussi fonctionnels. Moi qui ai toujours aimé les carrés aux dattes avec le thé noir (et le café), j’ai vu ce soir-là qu’il y avait des raisons moléculaires pour expliquer le tout – sur un thé chinois fumé et un carré aux figues, en fait. Et un des chefs de l’Utopie, croisé en fin de séance, soulignait que, si François Chartier a pointé la voie par sa recherche d’harmoniques entre aliments et vins, il pourrait aussi être intéressant d’explorer le tout sur un mode de contraste, de contrepoint, voire de contradiction complète.

La porte qui s’est ouverte là – et dont il sera question de façon plus approfondie dans un autre livre de François Chartier promis pour le début de l’année prochaine – offre des perspectives vastes et extrêmement intéressantes. On n’a pas fini d’en reparler.

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3 commentairesLaisser un commentaire

  1. […] Chartier, consultant en harmonies chez El Bulli En octobre dernier, j’écrivais sur ce blogue à propos de l’excellent travail de sommellerie moléculaire d…, tel que celui-ci l’a présenté lors du lancement de son guide, La Sélection Chartier 2009. […]

  2. […] repas-dégustation à cinq mains et formulé autour des principes de la sommellerie moléculaire sur lesquels travaille actuellement François Chartier  affiche complet. À moins qu’il y […]

  3. […] dégustation) de Papilles et molécules au restaurant L’Utopie, à Québec, fin 2008. Dans un billet précédent, j’ai déjà décrit comment un plat combinant thon et poivron se manifestait complètement […]


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