Comme vous le dirait avec conviction Laurent, le président du 16e Vendredi du vin, les frontières qui séparent le grand cru du vin de table sont parfois plus floues qu’on le pense. Elles ne reflètent pas forcément un critère de qualité, mais constituent peut-être plus souvent une ligne d’originalité ou de personnalité. Voire une simple limite géographique.
Prenez Alejandro Fernandez, celui qui fit voir à la planète que les grands vins de Ribera del Duero ne se limitent pas au légendaire Vega Sicilia, grâce à son Pesquera, un vin de garde de très belle tenue qui conserve, malgré sa réputation, des prix d’un raisonnable qui ne pourrait attirer que l’incompréhension d’un château bordelais.
Sortant de la zone délimitée de l’appellation Ribera del Duero, Alejandro Fernandez est par exemple allé installer un domaine près de Zamora, à une grosse centaine de kilomètres au sud-ouest de son domaine de Pesquera. Alors que l’endroit, Dehesa la Granja, était historiquement consacré au vin, il avait servi à l’élevage des taureaux depuis belle lurette. Replantant du tempranillo franc de pied, il y produit un vin solide, racé, qui s’est pourtant vu qualifié de « vino de mesa ». Bref, du « simple » vin de table.
La situation rappelle un peu celle de domaines comme Sassicaia ou Ornellaia, qui furent d’abord des vino da tavola avant de recevoir l’Indicazione Geographica Tipica, puis une nouvelle appellation sur mesure, Bolgheri. La qualité et le succès de l’opération sont passés outre les rigidités des systèmes d’appellation qui, s’ils ont une utilité claire pour définir le vin de telle ou telle région, peuvent aussi devenir des empêcheurs de vinifier en rond.
Bref, le Dehesa la Granja 2002, 100% tempranillo, élevé en fûts de chêne américain, montre bien qu’il n’a rien de vulgaire, comme vin de table. Des arômes de framboise noire et de prune, de l’épice à revendre et une petite touche de cuir, le tout enrobé d’un boisé tout espagnol, à la fois évident et bien à l’avant-plan, tout en étant intégré et en évitant d’inonder le vin de vanille. C’est costaud, c’est finement mais fermement tannique, c’est violet foncé, comme vos dents peuvent en témoigner après un verre ou deux. C’est violet foncé à six ans, soulignons-le, ce qui fait qu’on pourrait bien en oublier une bouteille ou deux à la cave pour un bon moment. Surtout qu’avec un prix oscillant autour des 20 dollars (ou d’une douzaine d’euros), ça ne vous ruinera pas.
Mais vous savez quoi? Au bout du compte, le 2002 se révèle être un vino de la tierra de Castilla-y-Leon, contrairement aux millésimes précédents qui étaient bel et bien des vinos de mesa.
Ça veut dire que je me suis retrouvé, en fin de compte, à tricher un peu sur le thème de la dégustation. De façon bien involontaire, croyez-moi. Comme je le disais, les frontières qui entourent les appellations sont parfois un peu floues.
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