Il y a plusieurs années que j’apprécie particulièrement la finesse et la subtilité des pinots noirs concoctés par Josh Jensen chez Calera, un domaine de la Central Coast de Californie, au sud de San Francisco. En fait, ses pinots sont souvent remarquablement pâles, pour la région et en général. À un point tel qu’on pourrait croire à un manque de substance. Pourtant, les vins se révèlent fortement aromatiques et amples en bouche, prouvant de façon superbe que le pinot noir n’a pas besoin d’une forte extraction, pas besoin d’être dense et sombre comme de l’encre pour s’exprimer, bien au contraire.
Dégusté avec la dinde de l’Action de grâces, le Reed Vineyard 1998 de Calera s’est révélé tout à fait à la hauteur de mes attentes. D’une robe grenat clair montrant une certaine maturité du vin, il exprimait d’intenses arômes de cèpes et de sous-bois, d’épices et de tabac, sous lesquels remontait graduellement un superbe parfum de cerise rouge tout à fait typique du pinot noir. En bouche, sa souplesse et sa finesse se combinaient superbement à une ampleur et à une longueur vraiment remarquables, le fruit prenant toute sa place, avec une acidité lui donnant bien de l’allant.
Détail amusant, la contre-étiquette de cette excellente bouteille est remarquablement détaillée. On y apprend par exemple qu’en 1998, ce vignoble de 4.4 acres (environ 1,8 hectares) a donné un rendement très minime de 13,5 hectolitres par hectare, presque la moitié de la moyenne de 1982 à 1997. On y voit aussi que les raisins ont été récoltés en trois passages, entre le 22 octobre et le 18 novembre. C’est assez tard, mais l’exposition nord-nord-ouest du vignoble et son altitude (environ 700 mètres au-dessus du niveau de la mer) expliquent probablement pourquoi le vin ne semble pas surmûri et donc, pourquoi il titre un très raisonnable 13,3% d’alcool par volume. On voit aussi que de petits rendements ne signifient pas nécessairement une concentration excessive.
D’autres producteurs, comme Radio-Coteau (l’extraordinaire cuvée La Neblina), Littorai ou Peay Vineyards, situés sur tout au bord du Pacifique dans le nord de la région de Sonoma (ce qu’on appelle le « True Sonoma Coast »), profitent également de telles conditions climatiques, nettement moins marquées par les grandes chaleurs et régulièrement frappées par le brouillard, pour obtenir des pinots noirs pleins de fraîcheur, bien structurés et se rapprochant plus de la finesse bourguignonne que de la chaleur et du fruité riche qu’obtiennent la plupart des producteurs de Californie. C’est d’une certaine manière en contredisant la tendance climatique majoritaire en Californie qu’ils y parviennent. Une approche risquée, puisque la météo peut s’avérer passablement douloureuse, mais à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, paraît-il.
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