J’ai découvert le vin canadien au début des années 90 grâce à ma douce moitié, qui a grandi en Ontario. Déjà, le vin ontarien avait commencé à prendre son grand tournant obligé face à l’ouverture du marché à la concurrence américaine, dans la foulée de l’ALÉNA. Les Inniskillin, Château des Charmes et autres pionniers des cépages nobles avaient déjà plusieurs années d’expérience acquise et ça commençait à paraître.
Quelques années plus tard, j’ai tenu, pendant trois bonnes années, une chronique entièrement dédiée au vin canadien (et bières et spiritueux, pour varier un brin). C’est à ce moment-là que j’ai commencé à mieux voir la diversité et la qualité de la production du Niagara, du Québec et, éventuellement, de l’Okanagan (voire même de Nouvelle-Écosse).
J’ai régulièrement été impressionné par des pinots noirs équilibrés, des chardonnays aux accents minéraux distinctifs, des rieslings bien mûrs, aux parfums parfois singuliers, ou encore des cabernets francs bien typés et parfois exceptionnels. Sans compter, bien sûr, les vins de glace qui font, avec raison, la fierté du vignoble canadien.
À preuve, je viens d’ouvrir un cabernet franc Reserve 1998 de Stoney Ridge, qui se reposait à la cave depuis que je l’avais acheté à la LCBO en 2001. À neuf ans, le vin était à pleine maturité, avec un nez riche et passablement complexe offrant de la prune, du tabac et du cuir, des notes boisées juste bien placées. Un vin d’une bonne profondeur, même si la bouche n’était pas parfaitement harmonieuse, le bois n’étant pas pleinement intégré. L’acidité bien placée, le fruit toujours abondant et les tannins bien fondus faisaient bien oublier ces petits détails. Le millésime le plus récent se vend une trentaine de dollars: je me rappelle plutôt en avoir payé une vingtaine, mais je n’aurais pas été gêné d’en payer trente, avec le plaisir et la durée de vie. Une robe grenat montrait que le vin, bien qu’ouvert et amplement prêt à boire, aurait eu encore plusieurs belles années devant lui.
1998 a été, il faut bien le dire, un millésime absolument superbe au Niagara. Même les cabernets sauvignons avaient atteint, cette année là, un degré de mûrissement exceptionnel – alors qu’ils peuvent avoir un petit côté vert, quand les saisons sont plus fraîches. Le cabernet franc reflétait bien les qualités du lieu et la nature du millésime.
C’est pourquoi j’ai été profondément déçu par un pinot noir 2005 de la même maison Stoney Ridge, un pinot qui arborait fièrement sur l’étiquette l’insigne du 20e anniversaire de la maison. Le vin goûtait vaguement le pinot, mais se montrait flasque, imprécis et excessivement mûr. Qu’est-ce qui s’était donc passé, alors que j’avais trouvé de précédents vins de la maison si bien définis?
La réponse se trouvait en trois mots sur la contre-étiquette: Cellared in Canada. Ce terme très vague signifique que le vin est un mélange de vin canadien ou étranger, une proportion qui peut aller en grande majorité (90%, même, selon certaines sources bien informées) du côté du vin étranger. C’est l’inverse du VQA, les standards de la Vintners’ Quality Alliance, qui obligent tout vin portant cette mention à venir à 100% du Canada, et même plus précisément de la région ou de l’appellation mentionnée sur l’étiquette. Le cabernet franc 98 était, lui, un VQA.
La confusion se rend désormais jusque sur les rayons de la LCBO. Alors qu’auparavant, les vins VQA étaient placés dans des rayons distincts, ils sont maintenant entremêlés avec les cochonneries (désolé, après en avoir goûté quelques-uns, je ne vois pas d’autre mot) mélangées « Cellared in Canada », dont la majorité provient de vins cheaps importés par citernes entières du Chili ou d’Australie. Des vins faits par souci d’économie, pas pour l’amour du vin.
Comprenez-vous pourquoi j’ai eu l’impression de m’être fait avoir avec ce pinot noir? Et je me demande sincèrement ce qui passe par la tête de ce producteur: il me semble que si je mettais en marché une bouteille anniversaire de mon domaine, je chercherais à y mettre mon meilleur vin à moi, pas la piquette du voisin! Toutes les bouteilles du millésime portent cette insigne, en fait, mais ils ne le méritent pas tous.
C’est vraiment dommage. Avec tout le bon vin – vraiment – canadien disponible sur le marché, une telle confusion ne peut que nuire à l’image de marque des vignerons qui travaillent constamment pour rehausser le niveau de qualité de leurs produits et pour en faire connaître le côté distinctif et particulier. Quand les vins montrent de plus en plus de qualités distinctes, quand l’oenologie sait de plus en plus comment équilibrer les vins, sans chercher à forcer le fruit ou le bois, pourquoi diable diluer ces qualités?
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